Résister aux régressions démocratiques, promouvoir les droits de la communication, renforcer l’action européenne : 3 mots d’ordre au Forum Européen des Droits à Communiquer

Forum Social européen
Campagne CRIS

Une centaine de personnes se sont retrouvées à Londres ce 14 Octobre, dans le cadre du Forum Social Européen, pour une journée consacrée aux droits à communiquer. Voici quelques échos des présentations et débats du matin.

Cees Hamelink, professeur à l’université d’Amsterdam et l’un des piliers de la plateforme CRIS - Communication rights in the information society, a cherché à définir les contours des droits de la communication. Liberté d’association, protection de la vie privée, droits culturels, Droits d’auteur, sont, avec bien entendu la liberté d’expression, quelques dimensions de ces nouveaux droits en construction.

Cees Hamelink, reprenant les arguments de certains des adversaires du droit à Communiquer, a rappelé qu’il pouvait sembler paradoxal de chercher à promouvoir un nouveau droit alors que les droits de l’homme existants, tels que définis dans le Déclaration universelle des Droits de l’homme, ont tant de mal à être protégés ou tout simplement être mis en place. Mais, selon lui, le fait que nous vivions dans ce que Benjamin Barber appelle « l’empire de la peur » doit au contraire nous inciter à renforcer nos droits. Toute société a tendance, lorsqu’elle baigne dans un climat de crainte, a sacrifier en premier les droits de l’homme sur l’autel de son angoisse. Ceci est d’autant plus vrai quand les premières victimes de ce recul des droits de l’homme sont des minorités (ethniques, sociales...) et que la majorité n’en ressent pas tout de suite l’impact et donc ne se sent pas concernée.

Les opposants aux droits à communiquer se réclament de la démocratie, mais c’est une vision libérale de la démocratie, dont l’individu est le centre et pour lesquels la participation, la citoyenneté, la construction de droits collectifs ne sont pas des objectifs.

Cees Hamellink en appelle à une triple démarche pour les réseaux européens présents :
- d’une part un inlassable travail de conscientisation de nos concitoyens sur les régressions en cours en matière de droits. Sur l’ensemble des députés hollandais interviewés, un seul avait entendu parlé du SMSI - sommet mondial de la société de l’information - mais se trompait sur son objet !
- d’autre part la construction d’un cadre très stricte pour toute remise en cause des droits de l’homme. Un danger peut justifier le cas échéant une levée de certains droits sous 3 conditions : que la réalité de ce danger puisse être vérifiée collectivement, que cette levée soit temporaire, qu’elle fasse l’objet d’une décision transparente et démocratique.
- Enfin une demande réitérée auprès des institutions européennes pour que ce thème soit mis à l’ordre du jour politique européen.La nouvelle composition de la Commission européenne, qui vient d’admettre en son sein un commissaire italien homophobe, ne laisse rien présager de bon sur ce point.

Anabelle Sreberny, enseignante à Leicester et militante des droits de la femme a donné à son tour ses 4 priorités pour l’action des réseaux, ce qu’elle appelle les 4 R :
- Renforcer les droits (Rights en anglais)
- Affirmer le principe de Représentativité
- Reconnaissance des minorités, dans leurs différences
- Redistribution des richesses, des savoirs...

Remarquant qu’une grande parte de l’action de nos réseaux s’est tourné, en toute légitimité, vers les pays du Sud, elle insiste sur le fait que nous ne devons pas négliger l’action au sein de l’Europe, et dans chacun de nos pays. La Grande Bretagne, qui historiquement bénéficiait « du moins mauvais des systèmes médiatiques » est en train de perdre cette chance : la BBC, à la fois sous la pression commerciale et la pression politique du gouvernement, se déprécie chaque jour un peu plus et perd l’autonomie totale de pensée qui faisait sa force.

Elle s’est enfin réjouie de la continuité qui existe entre les acteurs engagés dans les batailles sur les droits à communiquer des années 70-80 et ceux qui se sont engagés dans le SMSI (sommet mondial de la société de l’information).

Une continuité questionnée par plusieurs des participants à la rencontre, qui tout en constatant que le SMSI avait favorisé une convergence des mouvements, appelaient à un surcroît d’efforts pour une approche multidisciplinaire des enjeux. La mouvance impliquée dans la Déclaration de Genève à l’OMPI, qui vient d’une autre tradition militante différente,a été citée comme un exemple des mouvements à croiser avec ceux du droit à Communiquer.

Claudia Padovani, enseignante à l’Université de Padoue, et coordinatrice de la plateforme italienne de CRIS, est revenue sur la dimension européenne de l’action, insistant pour que les institutions européennes soient une cible prioritaire de nos efforts collectifs

Sean O’Siochru, également membre de la Campagn CRIS et du réseau irlandais de recherche Nexus, a insisté sur le fait que les droits à communiquer peuvent constituer un véritable cadre pour les politiques européennes en matière de communication et de technologies de l’information.

Revenant sur le terme des « droits à communiquer », il a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un concept ouvert et évolutif, destiné justement à favoriser le dialogue avec différents groupes militants.

Certains militants des droits de l’homme, de tendance conservatrice comme le World Press Freedom Committee, reprochent à ce concept son inutilité, voir sa contre productivité, considérant que la liberté d’expression déjà inscrite dans l’article 19 de la DUDH couvre déjà tout le champs des droits liés à la société de l’information et est compréhensible du grand public.

Sean O’Siochru a réfuté cette approche, réductrice selon lui : considérer la liberté d’expression comme la pierre fondamentale de tous les droits humains laisse à penser que tout va bien dans le meilleur des mondes, à partir du moment où la liberté de la presse existe. Or nous savons que la réalité de la liberté d’accès à l’information est toute autre aujourd’hui : le contrôle indiscutable de la plupart des média par des intérêts économiques, la multiplication des accès payants aux savoirs, la multiplication des DRM, le brevetage des bases de données sont quelques unes des nombreuses limites à nos libertés. N’oublions pas que l’industrie des médias défend la liberté d’expression et refuse d’en élargir la conception à une approche moins individualiste et plus collective de la liberté.

Complétant la définition donnée par Cees Hamelink, il a insisté sur toutes les dimensions des droits à communiquer qui dépassent la simple liberté d’expression : droit à manifester, auto détermination, droit à participer au gouvernement, accès à l’information public, droit à l’éducation, droit de bénéficier des progrès scientifiques et techniques...

Cette approche en forme de « meta droit » présente l’avantage d’encourager un climat de respect et de tolérance entre les différents réseaux, encourage la diversité.

Il a invité les participants à s’impliquer dans le « projet de gouvernance globale » de la campagne CRIS. Ce projet poursuit 3 objectifs principaux :
- promouvoir les droits de la communication au niveau national, régional t international ;
- cartographier l’état actuel des droits de la communication à travers le monde ;
- faire des propositions sur des questions politiques essentielles, telles que la concentration de la propriété des média, la commercialisation des media, le renforcement des droits de propriété intellectuelle à l’OMC et à l’OMPI, la dérive néo libérale des télécommunications, l’agenda sécuritaire...

Peter Noorlander du réseau « Article 19 » a de son côté insisté sur l’insuffisance de nos actions en directions des médias traditionnels. Nous devons mieux présenter et vendre nos idées a-t-il insisté. Le travail conceptuel n’est pas le plus important à l’heure actuelle, mais nous devons être capables de délivrer des messages simples et efficaces : la liberté d’expression touche à l’universel, fait sens pour la plupart des gens, d’où son utilité tactique. Revenons à la réalité quotidienne des gens a-t-il insisté.

Il reste énormément de travail à faire en Europe, car la majorité des gens, des politiques, des médias, a la conviction que le gros du travail en matière de liberté d’expression a été réalisé dans les années, 60/70 et qui dans l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe ce droit est respecté. Lorsqu’on explique que le traité sur la cyberciminalité est une menace pour nos libertés fondamentales, les politiques ne comprennent absolument pas de quoi nous parlons. Et pourtant les menaces sont bien réelles, que ce soit à travers la concentration de la propriété des médias, le déni d’accès à l’information, le pouvoir des entreprises comme l’affaire d’Indymedia vient de le démontrer.

En partant des structures et des cadres existants a-t-il insisté, nous devons élever la prise de conscience sur ces questions de la part de nos concitoyens et surtout essayer avant tout de mieux « nous vendre » pour sensibiliser les grands médias.

Le paradoxe de cette dernière injonction a été relevée par plusieurs participants : difficile de chercher à nous allier les médias que l’on critique par ailleurs ! Une participante a fait remarquer que plutôt que de chercher à convaincre les médias traditionnels, nous ferions mieux d’accompagner le mouvement d’appropriation par les individus des outils participatifs (blogues, CMS...). C’est ce que certaines associations tentent de faire en France à travers une campagne autour de « l’écrit public ». Sean O’Siochru a quant à lui appeler à travailler avec les médias alternatifs.

Robin Mansell, de Medais@lse, a mené une analyse critique des politiques européennes en matière de société de l’information, telle qu’elle a pu les observer de l’intérieur, en tant que chercheuse et consultante.

La société de l’information promue par Bruxelles repose sur une vision de la société tirée par la technologie, qui ignore toute vision des droits à communiquer et se fait championne d’une vision libérale de la démocratie. Le plan e-europe qui est au cœur de cette vision défend des principes comme la rapidité de l’innovation, la protection des échanges de base de données, le développement de compétences pour fluidifier le marché du travail (alphabétisation numérique...) etc.

Tout n’est pas à rejeter dans l’approche européenne. Des axes de travail comme la recherche de la cohésion sociale, la baisse des coûts, la construction de nouvelles infrastructures ou l’amélioration des interfaces pour les utilisateurs... sont certainement utiles, mais comme d’habitude totalement insuffisantes au regard des besoins (non marchands) des citoyens et des questions des droits de la communication. Le seul changement récent notable dans les programmes européens est le passage d’une approche de l’offre à celle de la demande, avec un intérêt nouveau pour l’utilisateur. Mais cet utilisateur est toujours considéré comme un consommateur et non un citoyen.

Ce qui est plus inquiétant actuellement est le changement de rhétorique : les institutions européennes commencent à adopter nos concepts, à parler d’inclusion sociale, de fracture numérique etc , amis ce qu’ils mettent sous ces concepts est bien évidemment à des lieux de ce que nous défendons.

Concernant la question de la liberté d’expression, Robin s’inquiète de la faible réactivité des gens, totalement inconscients des risques qui pèsent actuellement sur nos libertés, comme elle a pu le constater à travers des groupes de parole participatifs mis en place par le gouvernement britannique sur les questions de confiance numérique. Une telle apathie s’explique facilement par l’absence totale de sensibilisation à ces questions dans nos écoles, nos universités.

Posté le 16 octobre 2004

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