SMSI-93 Quatre enjeux majeurs au sein du SMSI

Bonjour,

Le Sommet mondial sur la Société de l’Information brasse évidemment de nombreux sujets. Les points d’achoppement sont forcément très nombreux, tant les divergences sur les objectifs comme sur les moyens sont grandes. Elles le sont en général dans la société, mais cela est peut être encore plus marqué dans le domaine qui nous préoccupe car aucune théorie ne peut se prévaloir d’une expérience majeure. Les débats théoriques ont une importance pratique qui se juge dans l’immédiateté, liée aux processus de production de cette "société de l’information".

Cette situation se double d’une forme de déliquescence de l’organisation du monde. L’ONU rejoue la crise de la SDN et la question du multilatéralisme est centrale... au moment même où un Empire majeur s’impose sur la planète. L’ONU elle-même est concurrencée par l’OMC, qui en régissant le "commerce" pretend régir l’ensemble du monde, marginalisant les avancées d’un droit mondial (Droits de l’Homme, droit du travail, droit environnemental,...) et d’une forme de négociation internationale issue de la victoire sur le nazisme (cette fameuse égalité entre les Nations souveraines).

C’est dans ce cadre global que se tient le SMSI. Et fait plutôt positif, il ouvre une porte à la "société civile". Nous aurons largement le temps dans ces 100 petits papiers de revenir sur cette notion et sur les enjeux de la présence d’un "tiers-interlocuteur" auprès des Etats et du secteur privé dans l’élaboration d’un projet global. Une présence largement "tenue en laisse", mais qui permet de poser des problèmes, et de placer des coins dans les contradictions entre les différents autres acteurs de ce Sommet international.

Mais pour agir dans une négociation, il est utile de préciser les points centraux de débat. Ceux qui montrent l’ampleur de divergences, et le degré de bifurcation des orientations.

Par chance, les quatre thèmes ont été très vite abordés par le représentant des entreprises privées (The Coordinating Comittee of Business Interlocutors - CCBI). Plus intéressants, ils ont été dans leur intégralité repris par le représentant des Etats-Unis lors de l’intersession de Paris en juillet dernier.

Ces quatre thèmes forment donc l’armature d’un véritable débat politique mondial, qui mèle les intérêts privés (et notamment ceux des grands trust multinationaux qui dominent le secteur) et les stratégies d’Etat dans la recomposition mondiale qui est à l’oeuvre autour de nous.

Quatre thèmes donc, qui deviennent de fait des thèmes centraux pour la "société civile". Je les cite ici, mais nous reviendrons en détail sur chacun d’entre eux :

- la question des Droits de l’Homme.


Thème central : s’agit-il de placer la "société de l’information" uniquement en rappel de l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (qui inscrit la "liberté d’expression" comme Droit fondamental), ou bien s’agit-il de reprendre dans les préoccupations issues de la démultiplication des techniques de l’information et de la communication l’ensemble des Droits qui découlent de cette Déclaration et aussi des différents Pactes et Traités qui lui sont associés. Ajoutons qu’au moment où émerge un nouveau paradigme d’organisation de la société, on doit aussi s’interroger sur le besoin parallèle d’une extension des Droits de l’Homme au "droit de la communication" ou "droit à communiquer".

C’est fort intéressant de voir les contorsions des Etats qui veulent parler des Droits de l’Homme, mais qui refusent qu’on regarde précisément ce que chacun de ces droits signifie dans le cadre de la société de l’information.

- la question de la propriété intellectuelle


Alors, que ce thème est central dans l’étude des opportunités d’une "société de l’information", le secteur privé et le porte-parole des Etats-Unis, en coeur, refusent qu’il soit abordé lors du SMSI. L’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle) et l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) seraient selon eux un meilleur lieu.

En clair, si on mélange la réflexion sur la propriété intellectuelle et les objectifs si généreux de la "société de l’information", des contradictions trop flagrantes vont apparaître entre les besoins de la société et les processus de monopolisation sur le long terme de la connaissance et de la culture.

- les logiciels libres


Le débat sur les logiciels libres est à la fois un avatar du précédent, mais aussi un débat sur le rôle incitatif et orientateur des Etats et des autres structures publiques envers des choix concernant l’infrastructure. Ici l’infrastructure informationnelle.

En mentionnant les logiciels libres (et à code source ouvert) comme des outils pour améliorer l’égalité des chances dans la société de l’information et comme moyen d’éviter la monopolisation de la vie privée et des projets publics, la première version de la Déclaration des Etats heurtait de front les stratégies des grandes transnationales du secteur, nos amis de Seattle en tête.

D’où la stratégie publicitaire, reprise à peu près dans les mêmes termes par le secteur privé et les Etats-Unis, qui consiste à caractériser les logiciels libres comme une "méthode de développement" et donc refuser que le débat ait lieu, car ce n’est pas aux Etats de choisir les modes de production des biens et des services.

Quand l’Europe fait la promotion des logiciels libres pour assurer la pérennité de ses données, quand le Japon, la Chine et la Corée veulent promouvoir un système d’exploitation libre, quand l’Inde choisit le "simputer" pour diffuser largement l’informatique.... on comprend que cette question des "logiciels libres" et de leur place dans la fiabilité même de la société de l’information soit devenue une question centrale.

- la diversité culturelle et linguistique


Les Etats-Unis s’étaient retirés de l’UNESCO considérant que cette organisation mondiale développait bien trop les particularismes, les expressions locales, les médias communautaires, bref tout ce qui empêchait l’homogeneisation culturelle du monde.

Il y reviennent avec un objectif majeur : empêcher que les Etats ne puissent édicter des lois et des règles pour défendre leurs langues vernaculaires et protéger l’approche culturelle qui émane des populations locales.

Il s’agit au contraire, et le "commentaire" des Etats-Unis pour le SMSI est très clair sur ce sujet, de promouvoir un "libre-choix" par l’utilisateur en dernière instance. Et que le "meilleur gagne", Hollywood et Starac contre le Burkina Faso : un combat sans règle dont on imagine l’issue.

Langues et productions culturelles sont un peu plus que des marchandises. Elles méritent des règles, des orientations, des soutiens, des formes de financement... qui permettent de maintenir la diversité dans le regard que les hommes et les femmes peuvent porter sur l’ensemble de leur planète.

Ces quatre Thèmes sont évidemment loin d’épuiser les divergences et les points nodaux du débat. La "gouvernance", l’investissement dans les infrastructures pour combler la "fracture numérique", les méthodes d’incitation de la jeunesse à s’emparer des techniques, la bataille pour l’égalité des sexes devant l’accès et la maîtrise des techniques, le libre accès aux connaissances scientifiques sont aussi des points où les divergences sont grandes.

Mais par l’insistance des représentants du secteur privé, et par l’engagement des principaux Etats dans ces domaines, les quatre points soulignés sont au coeur des débats.

Nous aurons l’occasion de les passer et repasser à la moulinette critique d’ici à décembre.

Hervé Le Crosnier

Posté le 9 septembre 2003

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