Climat et droits de Propriété Intellectuelle, vers une innovation ouverte ?

Tout le monde s’accorde à dire que les négociations de Copenhague seront décisives, non seulement pour le climat, mais aussi pour aller de l’avant vers une nouvelle architecture de la coopération internationale et dessiner une nouvelle perspective de solidarité internationale.

La négociation des droits de la propriété intellectuelle (DPI) est centrale dans ce contexte car le régime de production et de circulation des connaissances et de l’innovation pèsera sur les rapports Nord/Sud. Les négociateurs sont au pied du mur : poursuivre une logique de guerre économique ou bien défricher des nouvelles formes de coopération.

Plusieurs conditions devront être remplies pour répondre à la fois aux exigences de la lutte contre le réchauffement climatique et d’un développement solidaire. Les droits associés à la PI doivent être ré-équilibrés pour faciliter la diffusion de l’innovation. Les dispositifs de partage de la connaissance, tels que les brevets et les droits d’auteurs, devront s’adapter aux besoins de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette bataille est engagée. Les propositions et les expériences se multiplient. Elles tendent à remettre en cause les dogmes qui dominent les conceptions et les pratiques de l’économie et faire émerger des visions alternatives autour des biens communs.

A Copenhague, des négociations sur les droits liés à la PI auront lieu... ou pas.

La PI n’est pas au centre des débats. La PI n’est que l’un des aspects dans les négociations sur le climat. Avant Copenhague, l’essentiel de la discussion s’est focalisé sur la répartition des efforts d’atténuation du réchauffement climatique, avec le préalable posé par les pays du Sud : la reconnaissance par les pays développés qu’ils doivent assumer leurs responsabilités historiques vis à vis du réchauffement climatique. Cela devrait se traduire à la fois par des efforts de changement de régime de consommation des pays développés à échéance de 2020 ou 2050, et à travers une aide significative à l’adaptation des pays en développement. Les autres éléments centraux dans les discussions autour du climat sont le développement et l’utilisation de technologies vertes, le commerce des droits à polluer, des permis d’émissions et de la préservation des puits de carbone naturels, toutes choses qui elles, ont un rapport direct avec les Droits de propriété Intellectuelle car il s’agit notamment de valoriser des innovations techniques.

La négociation de la PI est vue d’un mauvaise œil par les pays riches qui ne veulent pas perdre leur avantage compétitif. Dans ce contexte, la négociation autour de la PI peut apparaître comme une négociation technique parmi d’autres. Elle est en fait bien plus que cela. D’une part, les droits associés à l’usage des technologies qui permettent de lutter contre le réchauffement climatique représentent un enjeu économique considérable. Nombre des pays du Nord comptent sur les mannes du commerce et de l’industrie verte pour surmonter la crise financière qu’ils traversent. Ils ne souhaitent donc pas voir les royalties versées pour l’utilisation de leur technologie disparaître ou même se réduire. D’autre part, du fait qu’elles se dérouleraient en dehors de l’OMC, de telles négociations ouvriraient la boite de Pandore. Elles pourraient déplacer les lignes entre le pouvoir des détenteurs des brevets, secteur industriel des pays du Nord, multinationales et les utilisateurs. Les pays détenteurs de brevets ne souhaitent pas voir s’ouvrir une brèche dans le système de droits administré sous l’égide de l’OMC avec les accords sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC).

Si jusqu’à présent, la PI n’est pas encore véritablement rentrée dans le cadre de la négociation, elle fait l’objet d’une forte dissension. A Barcelone, lors des dernières réunions de préparation des négociations de Copenhague, la question a fait l’objet d’allers-retour entre le corps du texte et ses annexes des documents préparatoires de la négociation [1], signe que la question est un enjeu important. À Copenhague, on peut considérer schématiquement, que deux approches s’opposent.

Les uns, au Sud, réclament le droit d’utiliser des brevets des technologies utiles dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique sans avoir à payer de royalties aux détenteurs de ces brevets. De leur point de vue, le climat doit être considéré comme un bien public, au même titre que la santé, et permettre de faire jouer les clauses spéciales des accords ADPIC.

Les PED (G77 et Chine, qui représentent en fait plus de 170 pays) réclament des mesures coercitives autour d’une contractualisation internationale du coût des brevets. Il s’agirait soit de sortir certaines technologies en rapport avec l’environnement du champ du DPI, soit de mettre en place un système de « licence obligatoire » et de l’accompagner de pénalités à l’encontre des pays qui ne respecteraient pas leurs engagements.

À l’opposé, les pays développés voudraient renforcer la protection offerte par ces brevets dans le cadre d’accords (ADPIC ou d’accord bilatéraux) qui , selon eux, permettronnt à l’industrie verte de se développer et de se diffuser et pour résoudre la crise écologique.

Il faut noter que cette question est indissociable de l’ouverture des frontières pour les biens et les services environnementaux. Cette dernière n’est pas nouvelle. « La réduction ou, selon qu’il sera approprié, l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux » est inscrite dans la Déclaration ministérielle de l’OMC [2] de Doha en 2001. Plus près de nous, en 2007, les États-Unis et l’Union Européenne, proposent d’établir une liste de biens « favorisant le climat ». Ceux-ci pourraient voir leurs tarifs douaniers supprimés. Selon Attac [3], l’UE préconise que les États membres de l’OMC s’engagent à annuler tout droit de douane sur les technologies pauvres en carbone (ou technologies « propres »). Cette proposition permettrait, selon ses défenseurs, d’assurer aux multinationales des débouchés pour leurs technologies et dans le même temps de permettre aux PED de développer leurs savoirs faire et leurs propres technologies autour de celles qui sont introduites. Or, il est clair comme le rappelle Attac, que si dans le même temps, les droits de PI sont durcis et les PED obligés de lever les freins à la circulation des biens et des services favorables à l’environnement, ces pays seront privés du droit de protéger leurs industries dans ce domaine.

Notons aussi que dans de telles conditions, le report de ces négociations, sous forme d’accords bilatéraux ou d’une réforme du régime multilatéral sur la base des accords ADPIC de l’OMC, risque de se faire au détriment des pays pauvres.

Vers quels résultats nous entraine le sommet de Copenhague ?

Parmi les propositions actuellement sur la table de négociation, l’exemptions du champ du brevetable et les licences obligatoires ont peu de chance d’aboutir car elles entraineraient des réformes d’ensemble portant sur le droit substantiel de la PI difficiles à négocier ou à appliquer.

En revanche, des accords pourraient être trouvés autour de dispositifs qui permettraient de faciliter la circulation des connaissances et des technologies existantes [4]. Ces dispositifs pourraient prendre la forme d’inventaires internationaux des technologies bénéfiques à l’environnement et de l’abandon des licences préférentielles qui réservent l’exclusivité des fruits de la R & D publique aux entreprises domestiques.

Ces mesures n’ouvrent certainement pas la voie pour des avancées dans le domaine des droits de la Propriété Intellectuelle, notamment parce qu’elles restent de l’ordre de l’exception liées spécifiquement à la question climatique alors que la bataille autour des listes de « technologies vertes » fait rage. On voit bien aujourd’hui quelles pressions exerce Monsanto pour y faire inscrire les OGM sous prétexte qu’ils permettraient des économies d’énergie dans le secteur agricole.

Les alternatives sont recherchées du coté de l’aménagement des licences elles-même, sous la forme notamment de paniers de brevets (patent pools) ou de plates-formes communes de brevets ou encore de licences de plein droit, qui permettent de concéder des licences groupées ou ouvertes.

- Les communautés de brevets (patent pools)
Les communautés de brevets (patent pools) sont des systèmes de concession mutuelle de licences entre détenteurs de brevets. Ils sont donc fermés : les détenteurs de technologies se partagent les bénéfices d’un ensemble de technologies cohérentes entre elles.

La proposition de « Global Technology Pool for Climate Change » du G77 et de la Chine s’inscrit dans cette logique. Ce fond regrouperait des technologies propres et les mettrait à la disposition des pays en développement, en dispensant ces derniers de payer des redevances.

Ce type de dispositif répond aux besoins de normalisation à l’échelle de la planète, qui est une demande des consommateurs, mais pose des problèmes de droit de la concurrence car il a tendance à renforcer les oligopoles. Ce n’est probablement pas le système qui permet le mieux de soutenir la lutte contre le réchauffement climatique qui appel à une grande variété de technologies en fonction des milieux et des besoins spécifiques.

- Les plate-formes commune de brevets
Les plate-formes de brevets de technologies propres sont basées sur un engagement mutuel : les détenteurs de technologies brevetées s’engagent à accorder des licences sans contrepartie de redevance sous réserve du respect de certaines conditions générales.

En janvier 2008 le Conseil Économique Mondial pour le Développement Durable (WBCSD) à lancé l’Eco-Patent Commons [5] qui réunissent un ensemble de technologies répondant à des critères écologiques et dont l’accès est conditionné à un engagement de réserver leur usage au développement de technologies respectueuses de l’environnement.

Ce principe présente des points communs avec l’Open Source [6], mais il est considérablement limité du fait que les participants doivent apporter chacun au moins un brevet pour pouvoir accéder aux technologies de cette plate-forme. Lorsqu’on connait le coût de dépôt et d’entretien des brevets, on comprend que ce système écarte les pays pauvres.

- Les licences de plein droit (license of right)
À contrario, la logique de partage volontaire de la « licence de plein droit » (license of right [7]) ouvre une perspective de transformation. Avec cette licence, le détenteur d’un brevet ne dispose plus du droit d’empêcher un tiers d’utiliser son brevet. Il accepte par avance d’autoriser ceux qui le demandent à utiliser l’invention protégée. En échange, il est rétribué sur la base d’une taxe ou de fonds publics de la recherche.

Des technologies relatives à des combustibles alternatifs, dont les brevets sont détenus par des industriels anglo-saxons sont recencés dans une base de données de licence de plein droit gérée par l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni [8].

La licence de plein droit est réputée permettre de réduire les coûts de transaction autour de brevets et offrir plus de souplesse dans la gestion des droits.

Vers une innovation ouverte.

Il est nécessaire de créer les conditions d’une innovation plus ouverte à l’échelle de la planète. Les exemples présentés ci-dessus montrent que dans le domaine de l’environnement, le modèle actuel du brevet n’est pas indépassable. Pour combattre le réchauffement climatique, nous avons besoin de développer une grande variété de techniques qui s’adaptent à la diversité des situations. Un grand nombre des inventions favorables à l’environnement, qui datent des années 70, tombent aujourd’hui dans le domaine public. Celles-ci constituent un fond dont il faudrait favoriser la circulation par une mise en commun et pour assurer la génération de nouvelles innovations elles aussi ouvertes.

Cela permettrait de penser de nouveaux modes de coopération basés sur le partage des biens communs de la connaissance. L’impact du sommet de Copenhague pourra aussi s’analyser en appréciant l’appropriation de cette question par les mouvements sociaux et citoyens et sa traduction dans un travail de transformation en profondeur la conception dominante de l’économie. Le Manifeste pour la récupération des biens communs [9] et le FMSD [10] sont des espaces d’échanges et de construction d’alliances autour de cet objectif.

Frédéric Sultan – 12 décembre 2009
Licence CC by-sa

Bibliographie incomplète :
Rapport, Centre d’analyse stratégique, "Les négociations sur le changement climatique : vers une nouvelle donne internationale ?" 20 novembre 2009, http://www.strategie.gouv.fr/articl...
Rémi Lallement , Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans les enjeux post-Kyoto , Nov 2009, Centre d’analyse stratégique
Catherine Saez , Conférence de Copenhague : incertitude sur les droits de propriété intellectuelle , 13 November 2009 , Http ://www.ip-watch.orgweblog/2009/
Le 
climat 
dans la 
tourmente
 des 
marchés, Rapport de l’association Attac France, Novembre 2009,
Gaëlle Krikorian, Transfert de technologie : la propriété intellectuelle » en embuscade à Copenhague, 5 novembre 2009
CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE DE L’OMC, DOHA, 2001 : DÉCLARATION MINISTÉRIELLE http://www.wto.org/french/thewto_f/...
OMPI : « Partager les technologies pour relever un défi commun », Magazine de l’OMPI, avril 2009, pp. 4-7.

[1] Catherine Saez , Conférence de Copenhague : incertitude sur les droits de propriété intellectuelle , 13 November 2009 , Http ://www.ip-watch.orgweblog/2009/

[2] http://www.wto.org/french/thewto_f/...

[3] Le 
climat 
dans la 
tourmente
 des 
marchés, Rapport de l’association Attac France, Novembre 2009, p22

[4] Rémi Lallement , Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans les enjeux post-Kyoto , Nov 2009, Centre d’analyse stratégique

[5] http://www.wbcsd.org

[6] À la différence du Logiciel Libre, selon Richard Stallman, la logique de l’open source est une « recherche de rentabilité, d’efficacité, et de fiabilité » plutôt qu’un partage qui garantie pour tous la liberté, l’égalité, la fraternité..http://linuxfr.org/2006/06/09/20933.html

[7] Tanuja V. Garde, Supporting Innovation in Targeted Treatments : Licenses of Right to NIH-Funded Research Tools, 11 Mich. Telecomm. Tech. L. Rev. 249 (2005), available at http://www.mttlr.org/voleleven/garde.pdf

[8] Antony Taubman, OMPI, Partager les technologies pour relever un défi commun, Mars 2009, http://www.wipo.int/wipo_magazine/f...

[9] La présentation du Manifeste pour la Récupération des Biens Communs à l’occasion du FSM 2009 à Belém au Brésil, marque le point de départ d’une campagne de mobilisation pour la préservation, la reconquête et la création des Biens Communs. Le but de cette campagne est de populariser la notion de Biens Communs en ouvrant un espace participatif de réflexion et de partage de toutes les initiatives concernant le futur des Biens Communs. Http ://bienscommuns.org

[10] Le FMSD, dont la première édition s’est déroulée à Belem en début d’année, et bientôt l’inititiative française (qui se déroulera le 23 janvier 2010), sont des espaces politiques ouverts sur cette question. http://fmsd-wfsd.org

Posté le 14 décembre 2009

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